Le mythe du violeur inconnu


Ah, le bon vieux cliché du violeur inconnu dans une ruelle sombre ! Vous savez, cet homme menaçant, capuche sur la tête, qui surgit de l’ombre pour attaquer une innocente jeune femme. Ce scénario, digne d’un thriller hollywoodien, semble si gravé dans l’imaginaire collectif qu’on pourrait presque croire qu’il fait partie des lois de la physique. Mais la réalité des violences sexuelles est tout autre et elle n’a pas grand-chose à voir avec les ruelles sombres.
Ce mythe a pourtant la vie dure. Il est confortable en un sens  : il nous permet de croire que les viols sont rares, qu’ils sont l’œuvre de monstres tapis dans l’ombre et qu’en évitant certains endroits à certaines heures, on pourrait y échapper. Ce narratif est rassurant. Enfin, sauf pour les victimes qui, elles, vivent une autre réalité : dans 90 % des cas, leur agresseur n’est pas un inconnu. En fait, c’est souvent quelqu’un qu’elles connaissent bien. Trop bien, même : un collègue, un ami, un voisin, voire un membre de leur propre famille.

Les chiffres qui tuent le mythe

On va être honnêtes : les chiffres ne mentent pas. Commençons par la France. Selon une étude de l’Observatoire des violences faites aux femmes, 9 viols sur 10 sont perpétrés par des proches de la victime. Oui, neuf. Sur dix. Autant dire que ce scénario de l’inconnu dans une ruelle sombre, c’est l’exception. Pour un cas qui correspond à ce mythe, il y en a neuf où l’agresseur est une personne en qui la victime avait confiance .
Et ce n’est pas un phénomène limité à la France. Au Maroc, une enquête de 2019 a montré que 58 % des violences sexuelles sont le fait de personnes issues du cercle familial ou amical. En Égypte, 66 % des femmes agressées sexuellement pointent du doigt des partenaires intimes ou des proches. En Tunisie, une étude a révélé que 85 % des agressions sexuelles se produisent dans des lieux privés, souvent à domicile. Alors, non, le violeur n’est pas toujours cet inconnu terrifiant des films. Parfois, c’est quelqu’un qui partage le canapé familial ou la table du dîner.

Pourquoi ce mythe persiste-t-il et ce qu’il fait de mal


Mais alors, pourquoi ce mythe est-il si tenace ? D’abord, parce qu’il est pratique. Le stéréotype du violeur inconnu permet de garder une distance mentale entre « nous » et « eux ». On peut se dire : « Ça n’arrive qu’aux autres, dans des circonstances exceptionnelles ». On s’imagine que les victimes étaient au « mauvais endroit au mauvais moment » et qu’en restant prudentes, nous sommes à l’abri.
Ce mythe arrange aussi les agresseurs eux-mêmes. Lorsqu’une victime ose parler, elle est souvent confrontée à des réactions du type : « Mais pourquoi tu étais seule ? Pourquoi tu étais habillée comme ça ? Pourquoi tu étais là à cette heure ? ». Ces questions, nourries par le stéréotype du viol en ruelle sombre, permettent de détourner l’attention du véritable problème : l’agresseur et sa responsabilité.
Enfin, il y a les médias et la culture populaire. Combien de films, de séries ou de romans présentent le viol comme un acte violent commis par un psychopathe inconnu ? On adore les méchants bien identifiables : c’est plus simple à gérer. Alors que l’idée que votre ami d’enfance ou votre cousin puisse être un agresseur est beaucoup plus dérangeante.
Le problème avec ce mythe, ce n’est pas juste qu’il est faux. C’est qu’il est nocif. D’abord, il invisibilise les victimes de violences sexuelles commises par des proches. Parce que ce n’est pas spectaculaire, parce que ce n’est pas vendeur, ces cas passent souvent sous silence. Les victimes elles-mêmes hésitent à parler, de peur de ne pas être crues ou d’être accusées d’avoir mal interprété les actes de leur agresseur.
Ensuite, ce mythe alimente des idées fausses sur ce qu’est un viol. On imagine qu’il doit forcément y avoir de la violence, des cris, des blessures visibles. Or, dans de nombreux cas, la victime est paralysée par la peur, la sidération ou encore par le lien émotionnel avec l’agresseur. Cela ne rend pas l’acte moins grave. Cela le rend seulement plus difficile à prouver ou à dénoncer.
Enfin, ce mythe détourne l’attention des vraies solutions. Si on pense que le viol est principalement une affaire de ruelles sombres, on met l’accent sur des politiques de sécurité publique : plus de lumière, plus de caméras, plus de patrouilles. Pendant ce temps, les vraies causes que sont les dynamiques de pouvoir, la culture du silence ou encore l’éducation défaillante sur le consentement restent négligées.

Déconstruire le mythe : par où commencer ?


D’abord, en parlant. En parlant beaucoup et en parlant vrai. Il faut raconter la réalité des violences sexuelles : les chiffres, les faits mais aussi les témoignages. Par exemple, rappeler que la majorité des agressions a lieu dans des espaces privés et non dans des lieux publics.
Ensuite, en éduquant. Cela commence dès l’enfance, en apprenant aux jeunes (filles et garçons) ce qu’est le consentement, comment poser et respecter des limites. Mais cela continue aussi à l’âge adulte, en remettant en question les idées reçues sur les profils des agresseurs.
Enfin, en soutenant les victimes. Cela passe par l’écoute, la mise en place de structures adaptées pour les aider mais aussi une justice qui reconnaît la complexité des violences sexuelles.


Le mythe du violeur inconnu dans une ruelle sombre est confortable mais il est temps d’y renoncer. Non seulement il fausse notre perception des violences sexuelles mais il abandonne aussi les vraies victimes parce qu’il empêche de s’attaquer aux racines du problème. Alors, ouvrons les yeux. La réalité n’est pas un film hollywoodien mais elle mérite qu’on la regarde en face.

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